Excellente nouvelle, pour tous les lanceurs d’alerte, que cette décision de la Cour de cassation luxembourgeoise qui vient nous appendre la relaxe de Monsieur Antoine Deltour. À vrai dire personne ne s’y attendait, mais il faut croire que des miracles peuvent toujours se produire sur Terre, quel que soit le degré de notre chute…
La justice luxembourgeoise a annulé jeudi la condamnation pour « violation de la confidentialité » de cet ancien salarié de Price Waterhouse Cooper, à l’origine des LuxLeaks.
La justice luxembourgeoise y sera parvenue pas à pas, laborieusement, mais le résultat est là : jeudi matin, la Cour de cassation du Grand-Duché a annulé la condamnation d’Antoine Deltour en lui décernant définitivement le statut de lanceur d’alerte. Et ce, en dépit du sacro-saint « secret des affaires » en vigueur localement.
En première instance, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg avait condamné en juin 2016 cet ancien salarié du cabinet d’audit PWC, spécialisé dans l’optimisation fiscale, à douze mois de prison avec sursis pour avoir « violé la confidentialité » en remettant une grande quantité de documents au journaliste Edouard Perrin (1), qui en fera son miel en 2012 dans Cash Investigation (France 2). Condamnation a minima, puisqu’il risquait jusqu’à cinq ans de prison sur le papier – on ne rigole pas avec le secret des affaires. Mais la justice locale lui reconnaissait quand même ses « nobles motivations, par conviction que certaines pratiques d’optimisation fiscale agressives sont contraires à l’intérêt général ».
Raisonnement absurde
En appel, sa peine fut réduite de moitié en mars 2017. La Cour lui reconnaissait alors le statut de lanceur d’alerte, conformément à l’article 10 de la Convention des droits de l’homme qui vise «la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou communiquer des informations ou des idées». Mais, au lieu de le relaxer purement et simplement, elle coupait la poire en deux au prix d’une pirouette juridique : si le salarié de PWC était bien lanceur d’alerte en remettant des documents au journaliste à l’été 2011, il ne l’était pas au moment d’en faire une copie informatique en octobre 2010… A suivre ces juges luxembourgeois, «l’article 10 ne s’applique que si les faits ont été commis en vue d’alerter l’opinion, dans le but de révéler ce qui devrait être raisonnablement considéré comme constitutif d’irrégularités».
Raisonnement absurde qui conduirait à la condamnation de tout lanceur d’alerte : au moment de copier des documents, il ne peut savoir s’ils sont sensibles ou pas, s’ils méritent d’être révélés. Antoine Deltour aura seulement pris quelques mois avant de se décider à les rendre publics. Raisonnement incorrect, ajoute la Cour de cassation, estimant que la Cour d’appel n’avait «pas tiré toutes les conséquences» de la relaxe partielle (pour avoir remis la documentation à Edouard Perrin) prononcée : « La reconnaissance du statut de lanceur d’alerte doit s’appliquer en principe à toutes les infractions, sous peine de vider la protection de sa substance.» Plus concrètement : « Au moment d’appréhender les documents, il ne pouvait déjà avoir l’intention de les divulguer, dès lors qu’il n’était tombé dessus que par hasard et qu’il en ignorait la nature réelle, qui ne s’est révélée que par la suite.»
« Protection totale »
Pour son avocat, Me William Bourdon, il s’agit d’une « décision sans précédent. Pour la première fois, une juridiction suprême accorde une protection totale au grand lanceur d’alerte qu’est Antoine Deltour, qui remplit tous les critères de la Cour européenne des droits de l’homme.» Il n’est toutefois pas totalement sorti d’affaire, étant également poursuivi pour avoir copié des documents sur la formation interne chez PWC. Des éléments sans grande valeur, non transmis au journaliste car peu susceptible d’intéresser grand monde… mais tombant sur l’accusation de vol. Antoine Deltour devra donc être rejugé sur ce […]
Renaud Lecadre – Libération