Cette série de 4 articles (+ Bonus) donne une idée précise et sérieuse sur l’identité d’Aleister Crowley, ses actions occultes et son œuvre littéraire. Le propos de cet article concerne le livre majeur de l’œuvre (sic) crowleyenne, Magick. Nous poursuivrons pour clore cette étude collective (Bonus) avec une énumération de quelques personnalités politiques ou artistiques qui se réclament de Crowley et l’assument. La postérité actuelle de Crowley dans ce que d’aucuns appellent la « dissidence française » est assez troublante…
Chose à peine croyable : le livre le plus important d’Aleister Crowley, de l’aveu même de son auteur et de ses thuriféraires, n’est jamais paru de son vivant ! Il a fallu attendre 1994, soit 47 ans après la mort de Maître Therion, pour que l’opus magnum de l’occultiste britannique soit publié intégralement en anglais, sous la férule d’Hymenaeus Beta XI°, nom de code du frère supérieur de l’Ordo Templi Orientis (O.T.O), et en 2013 pour la version française établie par l’un de ses disciples, Philippe Pissier – un long travail qu’on n’ose qualifier de bénédictin pour ne pas blasphémer saint Benoît et qui s’est accompli sur une période allant de 1986 à 2009, pas moins.
Son titre : Magick (Liber ABA, Livre Quatre). L’ouvrage est un gros et gras pavé divisé en deux épaisses parties, une montagne de mots empilés, une authentique boursouflure hyperglucidique formant un tout de 1147 pages, édités par la maison belge ESH. Disons-le tout de suite et sans ambages : il est extrêmement astreignant à lire tant il est tortueux, alambiqué, tarabiscoté, confus, glissant, entortillé, incompréhensible par moment, et, à la fin, totalement indigeste parce qu’aussi mal écrit que mal pensé.
Pour les sectateurs de la Bête 666, évidemment, c’est la Bible thélémite par excellence, c’est-à-dire la contre-Bible, le livre de la nouvelle religion des siècles à venir, celle qui récapitule les croyances anciennes et annule tout le passé spirituel des hommes pour que le saint nom de Crowley, nanti de son Ange Gardien, le dénommé Aiwass, soit glorifié pour les siècles des siècles ! Mais pour tout esprit normalement constitué, pour quiconque a bûché René Guénon, par exemple ou pour qui connaît la doctrine de la Tradition ou encore pratique sa religion avec la sincérité de l’âme simple, il s’agit d’un ensemble de textes dictés (dictés et non rédigés, une curiosité qui se renifle à chaque page !) à la va-vite sous le coup d’impulsions nerveuses ou de bouffées délirantes que l’auteur prend pour des révélations sublimes, des billets se voulant mystérieux mais n’étant qu’abstrus, des notes sans style ou amphigouriques, des fascicules impigeables, des barbouillages mis bout à bout par un mage drogué et à demi fou incapable d’avoir une vision claire et limpide de la matière dont il traite, un bonimenteur inapte à la réflexion soignée mais doué pour l’hermétisme puissance mille.
Pour preuve, l’ouvrage foutraque fourmille de notes infrapaginales qui ne sont autres que les corrections de l’auteur, notes annotées par lui-même (que penser d’un doctrinaire qui passe son temps à se commenter et explique, en auto-exégète, son livre dans son propre livre ?) et par ses traducteurs, tant la pensée soi-disant géniale de Crowley se révèle contradictoire et incompréhensible, y compris pour ses propres sectateurs, qu’on sent aussi motivés que désappointés.
Pissier achève son introduction en concédant que Crowley est un “homme qui s’est abreuvé aux sources de la philosophie indienne, de la religion égyptienne, de la métaphysique qabalistique….”, ajoutant que l’étudiant qui “voudra y pénétrer en profondeur risque de devoir puiser aux mêmes sources que lui pour saisir les allusions contenues dans la présent ouvrage”. Plus de 1000 pages d’allusions ! Merci du précieux conseil et avis aux potaches qui aiment travailler dans les labyrinthes sans fil d’Ariane ni lampe de poche ! Mais à quoi cela sert-il, s’il vous plaît ? Où va-t-on ? Vers quoi nous conduit celui qui n’a pas été fichu de composer son œuvre majeure de son vivant et qui doit s’y reprendre à plusieurs fois pour expliquer ce qu’il a d’aussi fabuleux et nouveau à communiquer au monde ?
En réalité, à y regarder de près, celui qui se voulait ni plus ni moins que la réincarnation d’Eliphas Lévi (Alphonse-Louis Constant de son vrai nom, curé défroqué ayant viré adepte de l’ésotérisme romantique, mort en 1875, année de la naissance de Crowley), n’a fait que s’inspirer du sorcier français en carton-pâte, et démarquer pour sa clientèle de riches décadents et de pauvres hères en déréliction spirituelle son best-seller Dogme et rituel de la haute magie (1854), dont on sait pourtant que la plupart des informations sont depuis longtemps sujettes à caution, ainsi que d’éminents maîtres de la Tradition l’ont démontré.
« C’est dans cet ouvrage échevelé que Crowley dit tout le bien qu’il pense des sacrifices d’enfants et cherche à réhabiliter Belzébuth »
Son « manuel de magick (on dit « Magick », cela fait plus chic que de la banale « magie » et la connotation se veut même sexuelle pour appâter le chaland) et de mysticisme à l’usage des débutants » (on dirait aujourd’hui : « La Magie pour les Nuls ») se compose de quatre parties puisque, pour des raisons inconnues de nous et sans aucun doute de lui, le chiffre 4 s’est imposé à l’esprit de l’auteur comme étant « la formule du livre ». La première partie traite des techniques orientales de méditation, la deuxième du symbolisme des outils servant aux opérations magiques (…. magickes, pardon !), la troisième des théorèmes crowleyistes, la dernière du fameux Livre de la Loi et de sa genèse, le grand livre saint de la religion d’Aleister. À quoi il faut ajouter des appendices qui n‘en finissent plus, des messes gnostiques, un syllabus, des diagrammes cabalistiques et autres « notes pour un atlas mondial » !
C’est dans cet ouvrage échevelé que Crowley dit tout le bien qu’il pense des sacrifices d’enfants et cherche à réhabiliter Belzébuth. Au lieu de lever les bras au ciel dans un signe de dépit comme Pissier qui s’est épuisé à traduire cette œuvre sans queue ni tête, on peut se risquer à donner un résumé du redondant et bedonnant Magick. Il suffit de se reporter à la phrase fétiche de Crowley : « Fais ce que Voudras sera le Tout de la Loi ». Inutile d’aller plus loin : c’est exactement la base de toute sa doctrine. Et ça l’est aussi de toute doctrine révolutionnaire et satanique.
Pour Crowley, Dieu n’est pas, ce n’est qu’une construction mythologique qui a vécu ; seuls existent les hommes qui, par la force de leur mental et leur sacro-sainte Volonté, ont pouvoir sur la Création. Il pratique beaucoup la méthode Coué. Il n’y a pas de commandements divins, seules des volontés d’hommes qui s’additionnent ou entrent en conflit. Tel est le monde, et le secret des secrets est de le vivre comme il est. Pas étonnant que Crowley soit à la mode chez les rockeurs et les contempteurs de la morale.
Ceux qui croient qu’on se régénère en lisant Crowley ont tout faux : en se tartinant le cerveau de ses apophtegmes et en suivant ses instructions, on dégénère au contraire à vue d’œil ! Si vous connaissez un adepte de Crowley, ouvrez l’oeil et observez, c’est saisissant ! Crowley est la modernité incarnée, dont l’air vieillot et le dandysme wildien peuvent contribuer à tromper les lecteur de bonne foi qui cherchent une voie de sortie à la monstruosité de notre époque.
Hélas pour eux, Crowley joue avec la Tradition comme un singe avec un manuel de chimie : dans son grand cirque mental ambulant, il met le désordre en spectacle et, loin de subsumer les lois de notre société décatie, il les grave dans le marbre et, en contrebande, rend légitimes pour des traditionalistes égarés les principes fondateurs de notre monde inversé.
Crowley le tradi ? Non : Crowley, apôtre du modernisme ! Crowley, détourneur de symboles ! Crowley, dépouilleur de vieux grimoires lus de travers ! C’est en cela que Crowley est un vil menteur et son œuvre majeure, une imposture intellectuelle à dénoncer comme telle quand, comme nous, on entend défendre la vraie Tradition des siècles.