Voilà le récit des premiers jours d’une guerre, une guerre affreuse, une guerre terrible : la guerre d’Ukraine. Croyez bien que je n’ai fait que relater les faits, seulement les faits. Au moment où la guerre éclata, je me trouvais à Illitchivsk, une charmante ville portuaire au bord de la mer Noire, pour un colloque sur l’œuvre politique d’Amélie Nothomb. Les sirènes retentirent dans toute la ville et le bâtiment fut évacué. Les chars russes arrivaient. Dans le chaos et le tumulte, je parvins finalement à trouver un taxi pour Kiev, avec un confrère et une consœur. Nous quittâmes en catastrophe la charmante petite ville d’Illitchivsk sous un déluge de bombes. Je n’oublierai jamais ces instants passés à siroter un thé vert devant la mer Noire, jamais.
Arrivé à Kiev après un long périple harassant dans la poussière de l’exil et de l’exode massive des ukrainiens vers la frontière polonaise, épuisé par les discussions avec mon confrère et ma consœur sur la pensée politique de Christine Angot, avec le peu de forces qui me restaient, je me frayai un chemin entre les gravats à la recherche d’une chambre pour passer la nuit. Je tentai ma chance au Moloch Paradise, un hôtel clinquant près de la cathédrale Sainte Sophie surplombant le Dniepr. Le Moloch Paradise appartenait à un homme d’affaires russe, en tout cas il parlait une langue qui rappelait un peu le russe, j’en conclus donc qu’il était russe. Dès l’entrée, je remarquai un trafic de prostitution… de jeunes filles ukrainiennes entre les mains de russes sordides avec des liasses de dollars dégueulasses. Aux premiers regards, je sus qu’elles étaient ukrainiennes et qu’ils étaient russes. Providentiellement, une chambre s’était libérée au moment de mon arrivée. Le patron plein de morgue et de méfiance, me remit les clés de la chambre. Je montai enfin à l’étage et m’installai. Épuisé, je restai affalé sur le lit de longues heures. Réveillé par des coups contre la porte, j’entendis une voix de jeune femme implorer mon aide. J’ouvris et lui fit signe qu’elle pouvait entrer. Elle s’appelait Natacha. C’était une jeune journaliste ukrainienne capturée par la mafia russe et ayant réussi à échapper à ses ravisseurs. Elle me mit au parfum sur la situation de sa patrie. Le pays était sous domination totale de la mafia russe dirigée par Poutine, et cette guerre n’était qu’un prétexte pour officialiser l’emprise déjà effective de cette mafia à tous les échelons de la société ukrainienne. « Cette gangrène à tout corrompu, tout infiltré, ils sont partout, leur pouvoir est tentaculaire ! », me dit-elle affligée. Elle me parla encore de souterrains près de Kiev où étaient détenus des enfants, ukrainiens et russes, avant d’être revendus à des trafiquants pour être sacrifiés après avoir été violés et torturés, et tout ça sous la supervision de Poutine. Je lui demandai où elle avait appris à être si factuelle et si objective. « J’ai fait un stage de journalisme en France, au journal Le Monde, » me dit-elle dans un français impeccable. Incroyable ! Pour apaiser son inquiétude, je lui proposai alors un livre, Splendeurs et misères des courtisanes de Balzac, et partis me rafraîchir dans la salle de bain. Lorsque j’en ressortis une heure plus tard, j’aperçus sur le lit la belle Natacha endormie sur le chef-d’œuvre de Balzac. J’étendis une couverture sur elle et m’endormis sur le canapé en lisant les Oeuvres poétiques de Zelensky.
Le lendemain matin, tôt, Natacha se grima en vieille nonne et nous sortîmes de l’hôtel alors que les bombardements avaient cessé. Direction le journal local clandestin où elle travaillait. Nous nous arrêtâmes enfin devant un vieil immeuble désaffecté. La salle de rédaction se trouvait au sous-sol. Natacha me présenta à ses collègues. « Bienvenue au royaume de la vérité », dirent-ils en chœur. Accroché à un mur, le portrait de Xavier Niel encadré de grosses dorures en plastique du plus bel effet. À côté, le portrait de Zelensky encadré de dorures en plastique encore plus massives. Grigorievitch, le directeur de publication, me montra les articles de la prochaine édition. À la une, un article intitulé « Le petit-déjeuner de Poutine », avec des informations parfaitement sourcées et référencées qui nous renseignaient sur le petit-déjeuner du maître du Kremlin, qui dévorait tous les matins des petits enfants ukrainiens ou juifs. Le deuxième article nous informait sur le trafic de cocaïne et de blanchiment d’argent sale gigantesque mis en place par Lavrov, le ministre des Affaires étrangères russe, avec la complicité active de la CIA. Article lui aussi parfaitement documenté, sourcé et référencé. Enfin, le troisième article, intitulé « Comment Macron a humilié Poutine », décrivait très factuellement et très objectivement l’humiliation infligée par Macron à Poutine : comment Macron l’avait fait attendre trois heures à l’aéroport de Moscou, et deux heures encore devant le Kremlin pour signer des autographes à la foule moscovite venue l’ovationner au nez et à la barbe du maître du Kremlin qui regardait froidement la scène depuis son balcon ; article parfaitement documenté évidemment.
Natacha proposa alors d’aller faire un tour à la cathédrale Sainte-Sophie. Et nous y allâmes tous ensemble. Dans la cathédrale, de nombreux fidèles ukrainiens priaient en silence, au premier rang desquels se trouvait l’honorable Zelensky, oui, le président ukrainien, qui priait en silence lui aussi. Puis, on entendit derrière un bruit assourdissant. Des néo-nazis russes venaient d’entrer dans la Cathédrale. Ils nous encerclèrent, nous menottèrent et nous rassemblèrent sur la place devant la cathédrale. Puis, du groupe de néo-nazis russes sortit un homme, leur chef, Vladimir Poutine, qui se transforma soudainement en chauve-souris géante. Ses ricanements étaient terrifiants. Il coupa en deux une montagne avoisinante et tailla le bloc gigantesque en forme de pieu qu’il planta dans le cœur de l’honorable Zelensky. Puis, la chauve-souris poutinienne, qui diffusait tout autour d’elle des coronavirus, s’envola haut dans l’espace intersidéral et en revint quelques instants plus tard les bras chargés de cristaux intergalactiques, qu’elle déposa sur la montagne coupée en deux. Puis, le ciel s’ouvrît et se referma, et s’ouvrît et se referma encore, puis s’ouvrît et se referma à nouveau. « Ça suffit maintenant ! », cria Vladimir Poutine. Le ciel s’ouvrît alors et une pluie de pièces d’or s’abattit alentour. Les néo-nazis russes se ruèrent pour ramasser le trésor. Puis Jésus-Christ et Sainte-Marie apparurent au son d’un chant céleste et demandèrent à Poutine d’être raisonnable et de libérer les prisonniers. Il refusa. Puis Dieu lui-même lui demanda de renoncer à sa haine. Il refusa. Et à cet instant précis, un immense hélicoptère surgit dans le ciel dans un halo archangélique. À bord de l’appareil, Bill Gates, Larry Fink et Albert Bourla. L’hélicoptère se posa et fit embarquer tous les prisonniers, sauf moi. Puis l’hélico s’éleva dans les cieux sous les applaudissements de Jésus et de Sainte-Marie, et Bourla déchargea une cargaison de doses de vaccin qui se déversa sur les Ukrainiens telle une pluie bienfaitrice. Puis les néo-nazis russes fabriquèrent une catapulte géante et m’envoyèrent en quelques secondes au fin fond du désert sibérien. J’attendis la nuit pour voir les étoiles et m’orienter vers le sud. Dix heures plus tard, épuisé de marcher dans le froid glacial, je croise un villageois qui me dit que le sud c’est de l’autre côté, complètement à l’opposé ! « Poutine a déplacé toutes les étoiles, pour brouiller les pistes, ce salaud ! ». Je regardai attentivement le ciel. « Merde, c’est vrai, la Grande Ourse est devenue un petit rat et Cassiopée une chauve-souris », dis-je interloqué. Le brave homme me raccompagna en camionnette jusqu’à l’aéroport le plus proche et avant de me quitter me remit une mystérieuse enveloppe à n’ouvrir qu’une fois rentré au France. Je rejoignis enfin Paris, après un détour infernal par l’aéroport Gengis Khan en Mongolie, aéroport infiltré sans doute lui aussi par les russes.
Arrivé à Paris, je me rendis à l’hôtel particulier de Xavier Niel, big boss du journal Le Monde. Je lui remis un exemplaire du dernier numéro de la gazette clandestine de mes camarades révolutionnaires de Kiev. Il parcourut la gazette. « Ça a l’air très factuel », dit-il. « De la pure factualité soigneusement sourcée, comme de juste », lui confirmai-je. « Parfait, je l’envoie de suite à la rédaction. Et vous, vous avez écrit quelque chose là-bas ? », me demanda-t-il. « Oui… un récit de guerre », lui répondis-je. « Du roman ou du factuel ? », fit-il. « Des faits, uniquement des faits », dis-je. « Envoyez-le-moi quand ça sera prêt », me lança-t-il et je pris congé. Alors que je descendais les escaliers, un sniper russe m’attaqua au lance-roquettes. Heureusement, Raphaël Glucksmann qui passait fortuitement par là le désarma in-extremis et le jeta à la Seine, qui elle aussi passait fortuitement par là. Épuisé par les émotions, je rentrai enfin chez moi. J’ouvris l’enveloppe mystérieuse. Elle contenait un microfilm. Je cassai alors une bouteille de vodka et fabriquai une loupe ultra-grossissante. Tellement grossissante que je pouvais voir les molécules, les atomes et les particules subatomiques. Bref, je lus les documents. Ils révélaient une conspiration russe pour détruire intégralement la planète par le feu nucléaire après la fuite de Poutine et de sa cour vers une autre planète du système solaire où ils s’étaient préparés une retraite dorée. Le dernier document révélait encore que Lavrov avait prévu d’aspirer toute l’eau des océans et des fleuves pour la transférer sur cette planète, au cas où il manquerait d’eau. C’étaient bien des documents officiels puisqu’on reconnaissait aisément la signature de Poutine si particulière, avec une encre au sang de bouc contenant des petites pointes de flèches. Je mis la touche finale à mon récit et envoyai le tout à Xavier Niel. « Démonstration magistrale ! Ça sera publié demain », me répondît-il. Maintenant j’en étais sûr, la vérité vaincra.
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