Je déjeunais l’autre jour avec mon ombre dans un restaurant mal éclairé, méconnaissable sous ma barbe de trente jours et mes larges lunettes noires, méditant sur mon destin dans la chaleur d’un été plein de promesses, quand trois individus s’installèrent à la table derrière moi. À leur voix je reconnus Marlène Chyapas, Mohamed Sifawi et Rudi Reichtate. Un ange vint alors me chuchoter à l’oreille : « Enregistre vite leur conversation ! ». Ni une ni deux, je sors mon super-dictaphone offert par Elon, et appuie sur la gâchette, enfin je veux dire sur le bouton. La discussion derrière moi démarra en effet sur les chapeaux de roues déglinguées autour de la cabale contre le professeur Raoult.
« Cette pourriture de Divizio nous met dans une sacrée merde en dévoilant la triche d’Amélie… », dit Marlène en appelant le serveur d’un claquement de doigts.
« Il faut trouver des fonds pour financer la chute de Raoult », proposa Rudi en dévorant les morceaux de pain dans le petit panier sur la table.
« On pourrait faire couper la tête de Julien, en accuser les anti-vaccins, et créer un fonds à la suite… », fit Mohamed en s’essuyant le front avec la nappe.
« Ah ouais, pas mal… Faudra trouver un exécuteur… Ça peut se faire… », répliqua Marlène enthousiaste.
« On toucherait assurément un putain de magot… », fit Rudi songeur.
« Je vais y réfléchir sérieusement… Il aura un beau destin de martyr… », fit Marlène relevant la tête en passant ses doigts dans ses cheveux. Et à ce moment précis, Julien passant par là inopinément, la reconnut et s’en fut vers elle, des étoiles plein les yeux, planant comme un aigle resplendissant au soleil.
« Ah ! Julien ! Le plus grand de nos fact-checkeurs ! Viens te joindre à nous », lui lança Marlène comme si de rien n’était.
Mohamed et Rudi saluèrent Julien avec de grands sourires.
« On discutait de la manière de faire tomber Raoult », fit tranquillement Rudi quand le serveur arriva pour prendre leur commande.
« Quel est votre plan ? », fit Julien lorsque le serveur repartit.
J’en profitai au passage pour régler en espèces mon addition au serveur.
« On pensait accuser les anti-vaccins d’un crime horrible, et créer un fonds à la suite de ce crime, pour financer la chute de Raoult », dit doctement Mohamed.
« Intéressant…, fit Julien en se caressant la moustache. On pourrait même aider à le provoquer, ce crime… », ajouta-t-il d’un sourire.
« Tu penses à quelqu’un en particulier ?… », fit Rudi en répondant à son sourire.
« Non, pas forcément… Mais c’est une idée à creuser… faudra trouver le bon profil… et surtout trouver un exécuteur… », répondit Julien les yeux luisants.
« Vas-y maintenant », me chuchota l’ange. Je me retournai alors et fit écouter l’enregistrement aux quatre amis pour la vie, complètement abasourdis par ce qu’ils entendaient. Le visage de Julien devint livide. Sa bouche devint pâteuse, le temps s’arrêta net, et l’univers s’écroula. Une boule lui monta à la gorge l’empêchant de respirer. Tout son monde merveilleux s’effondrait… ses ballades à Cabourg avec ses amies pour la vie… ses virées en char à voile à Deauville avec ses amis pour l’éternité… virées qui finissaient invariablement en beuveries à Omaha Beach.
« C’était pour rire Julien, tu sais bien… on aime bien rire entre amis… », fit Rudi d’un ton faussement enjoué. Marlène eut beaucoup de mal à sourire. Et Mohamed transpirait à grosses gouttes sans parvenir à sourire.
« Regarde-moi dans les yeux, Rudi ! », lança le pauvre Julien au gros Rudi, qui n’y parvint pas. « Regarde-moi dans les yeux !!! », hurla-t-il encore à s’en faire exploser les jugulaires. Un silence de mort écrasa le restaurant. Rudi ne réussit décidément pas à le regarder et un rictus horrible se dessina sur sa figure boursouflée. Un désir de meurtre envahissait le système nerveux de Julien quand le serveur arriva et posa les couverts sur la table, en particulier un couteau bien tranchant pour le gigot rôti de Marlène. Tout se cassa la gueule dans le crâne de Julien quand le reflet de la lame du couteau alluma son désir bestial ; sa main s’empara furieusement du couteau et le planta dans la poitrine de Rudi. Puis, tout se passa très vite. Cris, cohue. Dans le tumulte, Marlène pensa opportunément à faire disparaître l’arme du crime, et je m’éclipsai discrètement.
La mort de Rudi fit grand bruit. Marlène joua de tout son poids relationnel pour innocenter Julien, en faisant porter tous les soupçons sur l’inconnu qui avait enregistré la conversation : moi. Les trois amis pour la vie judiciaire s’entendirent sur les faits : c’est l’inconnu qui avait poignardé Rudi. Sur les conseils de mon ombre, je m’envolai vers le Tibet pour observer toute cette affaire de loin et méditer sur l’éternité.
L’enquête piétina quelques temps vu qu’on ne put identifier l’inconnu. Les médias avaient besoin d’un coupable, un parfait coupable. Puis, les deux amis pour la vie judiciaire se mirent d’accord pour faire que les soupçons se tournent vers Mohamed – celui qui avait proposé l’idée du crime – et en faire le complice de l’inconnu. Le soupçonné plaida l’humour concernant son idée de crime et affirma catégoriquement qu’il ne connaissait pas cet inconnu. Sans relâche, Julien, lui, plaida la folie face à une conjuration ourdie contre lui par l’inconnu et Mohamed, lequel répliqua que Marlène avait fait disparaître l’arme du crime commis par Julien. Sur les réseaux sociaux, une myriade de commentateurs dénonça pêle-mêle le « complotiste Julien au couteau », le « comploteur criminel Mohamed » et « l’enfouisseuse de couteau fou Marlène »… Julien reçut l’appui de toute la caste politico-médiatique et fit peser tout le poids du soupçon sur Mohamed qui, mis en examen, tenta de fuir par l’Espagne, mais fut arrêté à la frontière à cause d’un malheureux excès de vitesse. Le juge chargé de l’affaire considéra cette tentative de fuite comme un aveu de culpabilité lors du procès très médiatique qui eut enfin lieu, et Mohamed fut condamné pour complicité de crime à vingt ans de prison ferme. Le valeureux guerrier dénonça une parodie de justice devant le juge inflexible mais rien n’y fit. Ayant quelques scrupules, Julien lui envoya quelques oranges en colis anonyme. Marlène créa un fonds à la mémoire de Rudi et partit quelques mois aux îles Maldives pour oublier, et pour écrire quelques lignes avec Julien qui l’avait rejoint, afin de justifier les centaines de milliers d’euros reçus par ce fonds…
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