Une page de Chateaubriand sur le complotisme
C’est de l‘establishment de Washington, si l’on veut trouver un centre de diffusion, que s’est répandue, disent les chercheurs qui trouvent, la dénonciation de l’hérésie de la nouvelle religion mondiale, que serait la théorie de la conspiration, et celle-ci est psychiatrisée comme s’il s’agissait en effet d’un symptôme, par ailleurs avéré, de paranoïa ou, à le dire en français, de dérangement mental caractérisé par les signes relevés par le malade d’une conspiration ou de menées contre sa personne. On a ainsi, sur la voie ouverte par les Soviétiques mais pratiquée plus qu’on ne l’a dit aux États-Unis et jusque dans la Norvège même qui enferma dans un asile le prix Nobel de littérature pour germanophilie, fait incontestable, de Knut Hamsun, d’où il sortit intact et rédigea des Mémoires de centenaire, marquer une normalité et rejeter les opposants dans le chaos de la folie. Sed insanes sunt, mais ils sont fous, insanes, répond en latin Descartes à ceux qui opposent la réalité du rêve, mais aussi des perceptions sensibles à celle de la seule certitude intellectuelle. En ce sens nos politiques sont restés cartésiens, surtout les publicistes.
Il faut croire que ce diagnostic de folie conspirationniste a toujours affecté les démocrates, ou flatteurs du peuple, j’entends ceux qui, pour user du langage imprécis mais accrocheur des modernes, “flattent leur ego”, bref sont égoïstes et usent du miroir factice de la démocratie faussée, ou ploutocratie réelle, à savoir pouvoir des riches d’abuser des pauvres, pour approuver toute forme d’insurrection ou mise en cause des lois fondamentales de la société, de l’ordre réel.
Au XIXe siècle, encore au tournant révolutionnaire inspiré, plus que par les autres Révolutions anglaises ou américaines – que Kant détestait – par l’instinct populaire de jalousie sociale, suivant une formule goethéenne que l’on vérifiera d’aventure – à Dieu ne plaise – après le bal du Grand Soir qui pourrait bien accompagner les élections présidentielles françaises de 2017, comme pour bien célébrer le centenaire de la révolution russe, notre fille politique, ironisait le spirituel Salvador Dali ! – Chateaubriand, dans ses Mémoires d’Outre-Tombe (livre trentième, ch.II, collection livre de poche, Garnier, 16089, 671 pp., p. 406) écrit :
“Je parle de l’état de l’Italie, où je montre la méprise des cabinets qui regardent comme des conspirations particulières ce qui n’est que le développement de la civilisation. Le Mémoire sur la guerre en Orient, poursuit Chateaubriand, en évoquant son rôle de ministre des Affaires étrangères qui nous valut aussi la victoire du Trocadéro de 1823, près de Cadix, sur l’insurrection espagnole, car il y avait en son temps aussi des insurrections saines et d’autres malsaines, selon un théorème syrien bien appris aujourd’hui et que conteste l’éléphant de la Maison Blanche face aux doctrinaires français de l’école révolutionnaire hollandaise ou juppetiste, des experts, direz-vous, expose aussi des vérités d’un ordre politique qui sortent des voies communes. “Et la suite nous mène, comme toujours sur les falaises hautes où Satan a dû faire jeter à Issa (béni soit-il) un regard sur l’étendue de ce monde qu’il veut lui appartenir et distribuer à ses serviteurs progressistes : “J‘ai causé avec deux papes d’autre chose que des intrigues de cabinet“. Il veut parler des moyens policiers d’étouffer les conspirations des sociétés subversives qui éclateront au grand jour en 1848 dans toute l’Europe par une coordination suspecte : “Je les ai obligés de parler avec moi de religion, de liberté, des destinées futures du monde“, bref du fond intellectuel de ces loges que les Églises chrétiennes, catholiques, luthériennes ou orthodoxes, sans oublier les Musulmans d’Orient, condamnaient alors. “Mon discours prononcé au guichet du conclave a le même caractère. C’est à des vieillards que j’ai osé dire d’avancer, et de replacer la religion à la tête de la marche de la société”. On ne peut que répondre de juger l’arbre à ses fruits : une marche par des guerres atroces et une autre en gestation, je veux dire la générale, car depuis la fin de la dernière guerre, il n’y a eu que des massacres, une hémorragie qu’aucun Chateaubriand ne saurait arrêter ! Le Chancelier contemporain Metternich pensait le contraire, il serait taxé de conspirationnisme ! Certains en feraient un voyant, et le mot n’est pas à rejeter ! Il en faut !
Pierre Dortiguier