Anatole Prévost-Paradol (1829-1870) inspirateur du publiciste Éric Zemmour
Il fut un temps où les libraires formaient leurs clients, n’étaient pas seulement des vendeurs, mais des éclaireurs de la culture et faisaient se rencontrer les bons esprits et les gens passionnés. L’un d’eux, Breton de nation, qui exerçait cette utile profession boulevard de Magenta, relevait dans sa correspondance, que l’illustre polémiste Zemmour avait cité l’oublié élève de l’École Normale Supérieure, écrivain talentueux, presque un second comte de Rivarol (1751-1801), auteur du discours sur l’excellence de la langue française couronné par un prix à Berlin, mais libéral et colonisateur, dont le nom fut attribué à une commune algérienne Prévost-Paradol. Il fut rebelle au conservatisme, voulut prolonger l’agitation révolutionnaire libérale de 1848, en devenant la tête pensante de la dynastie crypto-républicaine des Orléans, à savoir de la branche ultra-maçonnique qui mit le feu aux poudres en 1789 (car l’action révolutionnaire débuta par une opposition aristocratique et cléricale même, du Haut-Clergé), et refusa donc de soutenir le De Gaulle d’alors, Napoléon III.
Il y eut une culture méconnue de ceux qui forment maintenant la « République », machine à fabriquer des citoyens selon un propos qui n’a rien d’excessif de Mélenchon, et qui voulait imiter une période dont l’ancien évêque Talleyrand et prince d’Empire disait d’elle que ceux qui n’ont pas connu la société d’avant 1789, de l’Ancien Régime, ignorent ce que c’est que la société. Le Second Empire se voulut un écho du Siècle des Lumières que l’on affecte de confondre, dans une génération semi-savante et mal instruite, bourrée de slogans, avec la secte maçonnique, en oubliant que l’expression latine de lumen naturale, lumière naturelle de l’esprit est un concept théologique que cultivaient un napolitain comme saint Thomas et le breton Des Cartes (comme le nom s’écrivait) qui, sur ce point, est de la même étoffe.
Un autre auteur de ce temps oublié de la seconde moitié du XIXe siècle, par exemple, est le poitevin parisien Elme-Marie Caro (1826-1887) de l’Académie Française dont deux ouvrages, l’un sur La philosophie de Goethe, philosophie naturelle de moins en moins connue en France en exceptant les milieux anthroposophiques ayant, à la honte de nos éditions universitaires, seuls traduit la théorie des couleurs du maître allemand, et l’autre sur l’idée de Dieu et ses nouveaux critiques (réédité en 2007) sont mieux écrits et plus lisibles que les papiers imprimés par les contemporains dont la gloire ne peut s’élever qu’en les épuisant.
Il eut voulu que la colonisation française devînt un accroissement de la population, pour la favoriser et maintenir sa puissance.
Anatole Prévost-Paradol imitait de bons modèles. Son premier point d’affinité avec Zemmour est ce qu’on appelait plus exactement qu’une race (ce que refusent, du reste, les lois de Nuremberg employant l’expression de « mélange racial » (Rassenmischung), tout comme pour les dits Bohémiens ou Tziganes que célèbre la musique de Franz Liszt ) ou nation, terme traditionnel mais vague, la condition juive, puisqu’il se trouvait être le fils naturel de Léon Halévy (1802-1883) secrétaire de Saint-Simon et auteur de comédies. Sa mère, mademoiselle Lucinde Paradol, était de la Comédie Française.
Ce fait n’est point anecdotique puisque cette condition de semi-judaïsme lui fut reprochée, ou du moins la lui fit-on sentir, lorsqu’il se présenta à l’Académie Française. Cela rappelle un épisode de la vie de notre professeur de philosophie de Louis Le Grand et d’Henri IV et plus tard, à un âge avancé, sexagénaire, médecin oto-rhino (avec l’engagement de ne pas exercer !) , et ennemi irréductible de la psychanalyse, Henri Dreyfus Le Foyer(1897-1969), qui était aussi poète hugolien talentueux, issu du judaïsme alsacien sur lequel Napoléon III, par ailleurs excellent germanophone, prit appui, nous confiait-il : l’illustre latiniste Chevalier, auteur d’un excellent livre sur la cité romaine, ministre du nouveau gouvernement élu par la Chambre du Front Populaire, après la défaite consécutive à une guerre généralement peu voulue, impopulaire même, mais néanmoins déclarée après plusieurs heures de tergiversations, de lui dire à peu près ceci : « Avec le nom que vous portez, vous comprendrez que je ne puis vous consacrer plus d’une minute ni vous offrir de quoi vous asseoir ».
Il y avait dans Anatole Prévost-Paradol une vue peut-être bornée de la politique, comme il arrive aux hommes de parti, mais ce qui est notable dans la condition juive, à parler objectivement, un attachement ferme à des points de réalité, un talent analytique, même si la synthèse se révèle être inatteignable ! La démographie, en effet, inquiétait Anatole-Paradol, et en premier la dénatalité française. Il eut voulu que la colonisation française devînt un accroissement de la population, pour la favoriser et maintenir sa puissance. Ce qui marqua une grande différence avec l’Angleterre, car il n’y eut pas, en effet, une Australie française ni même, contrairement à ce que l’on affecte de croire, un Canada français, rien que le Québec francophone sous la couronne britannique et dévoué aux intérêts de l’impérialisme comme les deux guerres mondiales et la politique canadienne contemporaine le démontrent assez. Rien d’Irlandais, aucun goût pour l’indépendance ! Ce qui est autre chose, alors qu’il y a des minorités allemandes en Russie, en Amérique latine, aux USA qui conservent leur lien avec la mère patrie, par la culture et leur goût de la technique et forment une puissance en devenir.
Éric Zemmour a-t-il cette crainte de démographe, tout comme l’illustre normalien et académicien, porte parole du parti royaliste orléaniste –de l’orléanisme? La guerre de 1870 voulue par non seulement le pouvoir en place autoritaire et accepté par crainte de l’anarchie, mais aussi par l’extrême-gauche ou le libéralisme extrême d’un Émile Olivier et surtout l’Impératrice sensible à l’agitation politique, poussa, dit-on, Anatole Prévost-Paradol au suicide, à l’été 1870, alors qu’il venait de prendre son poste de diplomate à Washington, dans ces États-Unis qu’il admirait.
Chacun a son opinion sur le polémiste Éric Zemmour, et la récente guerre des prénoms est un épisode du goût de la société française de choisir un terrain de jeu, mais il faudrait aussi regarder par-dessus son épaule et y voir un aspect particulier, constant de la vie politique d’un « Peuple toujours léger, quelquefois cruel », selon Voltaire. Wait and see !
Pierre Dortiguier