En ces prémices d’automne frémissant d’une douce et envoûtante mélancolie irisant l’horizon, à quoi bon accabler encore la tête de veau mal empaillée et mal embouchée éjectée dernièrement de la sélection du Goncourt par le fonctionnaire pépère des Lettres françaises, dont la fonction exacte est de noyer la littérature dans du formol et de bien refermer le couvercle avec un sourire satisfait, je pourrais plutôt vous parler de la brasserie Hofbraühaus à Munich dans laquelle je fus « saisi », ou de la dernière étude d’exécution transcendante de Liszt qui me trotte dans la tête depuis plusieurs jours comme pour me dire quelque chose, mais je vais finalement vous entretenir ab imo pectore du sens ésotérique de la vie, la vie humaine, sans tenir compte du tout des instructions rectorales et rectales de l’Académie. En tout état de cause, la nature humaine est si incompréhensiblement monstrueuse, comme disait Pascal, qu’on peut se demander parfois si elle a un sens, un sens profond comme l’affirment les religions millénaires et particulièrement l’islam à son aurore, sous la nuit d’Arabie.
Avant que l’islam ne devienne, comme d’autres religions, le paravent des horreurs inavouables de la nature humaine, ou plus précisément de la nature sémite, il était à sa naissance un message spirituel proposant un sens à la vie humaine. Mais assez vite, ce sens ésotérique fut étouffé par un arsenal de règles complexes destinées au départ à contenir l’extrême barbarie régnant dans le péninsule arabique à cette triste époque, appelée par la suite « jahiliya », ignorance en français. À l’époque, en cette région, on commettait des crimes sans se cacher, comme enterrer vivante sa propre fille car on eut préféré avoir un garçon… ! Aujourd’hui, on se sert de la religion pour se cacher de ses crimes ; des imams par exemple ont été arrêtés, à Marrakech, à Sousse, à Batna… pour avoir violé des petits garçons ou des mineures ; des viols commis en secret dans la mosquée… ! Des imams rigoristes, à l’évidence… Les religions constituées ne peuvent rien contre la monstruosité humaine car précisément elles se constituent au fil du temps par des hommes… Et l’encens et les onguents ne peuvent rien non plus contre ces ignominies. Mais revenons au sens ésotérique de l’islam que je vais tenter de déployer ici.
D’abord, cette notion de « soumission à Dieu » qui a fait couler tant d’encre et tant de sang. Se soumettre à Dieu n’est rien d’autre que se soumettre à l’insondable et éternelle dispensation divine, dont tous les êtres se nourrissent, du protozoaire à l’être humain, en passant par les plantes, les animaux et les primates endiablés. Et se soumettre à la dispensation divine n’est rien d’autre que dispenser soi-même ce que Dieu dispense. C’est-à-dire ? C’est-à-dire dispenser la vie que l’on a reçue, comme on expire ce que l’on a inspiré – la respiration est éminemment morale avant d’être éminemment vitale. Évidemment vous allez me demander ce que j’entends par dispenser la vie. Cela ne veut rien dire d’autre que faire éclore la vie qui n’a pas encore éclos, ou qui est emprisonnée. Et toute forme de vie emprisonne déjà la vie sous sa forme. C’est bien entendu par l’amour que l’on fait éclore la vie, que l’on épanouit les cœurs, ainsi que par le pardon, qui est une expression parmi d’autres de l’amour. De l’amour divin bien-sûr, pas l’amour humain qui n’est souvent qu’une passion destructrice et auto-destructrice. Viser à épanouir le cœur d’autrui même s’il n’épanouit pas le nôtre : voilà le principe premier de l’enseignement ésotérique de l’islam, le principe premier de la sagesse primordiale, la sophia perennis…
De la même façon, l’usure finira par crever, et le sens ésotérique de la vie par renaître, tel le ravissement d’un enfant dans l’innocence de son émoi.
Le sens ésotérique de la vie humaine serait ainsi de concourir à l’éclosion de la vie en les cœurs. Concourir. Et non « Goncourir » ! Et encore moins « conquérir » la vie, l’accaparer. De toute façon, la vie véritable se dérobe à tout accaparement, elle ne peut être ni accaparée, ni saisie, et encore moins accumulée, capitalisée, aussi forts que soient les coffres et luxueux que soient les châteaux, ce que l’impératrice Sissi avait pressenti dans sa fuite éperdue. Pas besoin d’être un révolutionnaire mystique pour comprendre que la vie véritable n’est que dans la dispensation, dont l’inverse est exactement l’usure, au sens financier, demandez à des israélites, ils vous expliqueront. On oppose habituellement mort et vie mais c’est bien plutôt l’usure qui contredit la vie, qui vise à la détruire complètement. La mort n’est qu’une transition vers une autre vie, en aucun cas une rupture de la vie, l’usure si. Et pour notre plus grand malheur, c’est l’usure qui fonde tout le système actuel, ontologiquement destructeur, au profit infâme d’Israël. Dans un sens plus général, l’usure est cette volonté insatiable de s’accaparer pouvoirs et richesses sans jamais rien donner, comme une personne qui voudrait toujours inspirer sans jamais expirer… elle finit par crever ! De la même façon, l’usure finira par crever, et le sens ésotérique de la vie par renaître, tel le ravissement d’un enfant dans l’innocence de son émoi.
Que l’on me comprenne bien, un athée ou un païen peut tout à fait concourir à l’éclosion de la vie en les cœurs. Et un musulman, un chrétien ou un juif peuvent tout à fait ne pas y concourir. Le problème avec les religions constituées est qu’elles ne promettent l’éclosion de la vie en les cœurs qu’après la mort, outre-tombe. Et pourquoi pas dans cette vie-là ? Mais le problème est encore plus grave, car les fidèles se méprennent en s’en remettant à Dieu pour l’éclosion des cœurs sans y concourir eux-mêmes, ou s’ils y concourent ils le font en hiérarchisant les cœurs. Il n’y a pas de hiérarchie des cœurs dans leur éclosion, tel est l’ordre divin. Le Paradis promis est simplement un jardin où éclosent les cœurs, telles des fleurs. N’y sont évidement admis que ceux qui concourent sans hiérarchie à cette éclosion. « L’amour est un jardin, n’y entre pas si tu ne peux sentir son parfum », disait Jalâl al-Din Rûmi. Faire advenir cette floraison sur Terre, voilà le sens ésotérique de la vie humaine. Dieu n’est pas tant un architecte qu’un jardinier aux saintes semailles qui patiemment nous destine à accomplir Son geste. « Tous les cœurs sur lesquels souffle ma brise s’épanouissent comme un jardin plein de lumière », disait encore Rûmi, héros immortel des Lettres.