Passe sanitaire : « Macron a contribué à l’installation d’une société sécuritaire et policière »

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Beaucoup de gens commencent à comprendre où veut en venir le système politique actuel : mettre en place une tyrannie qui va bien au-delà de la question sanitaire du Covid-19.



Alors que les députés ont voté la prolongation du recours au passe sanitaire jusqu’au 31 juillet 2022, Mathieu Slama, essayiste, analyste politique et enseignant au Celsa [École des hautes études en sciences de l’information et de la communication], analyse ce qu’il perçoit comme un recul de nos libertés fondamentales.

Le quinquennat d’Emmanuel Macron s’achève donc sous un régime d’exception, et non sous un régime démocratique. Le projet de loi de « vigilance sanitaire », actuellement en discussion, donne en effet la possibilité au gouvernement de déclarer, par décret, l’état d’urgence sanitaire pour une durée d’un mois, sans aucun contrôle du Parlement. Cette loi, qui laisse également à l’exécutif la possibilité de recourir au passe sanitaire jusqu’en juillet 2022, accorde donc les pleins pouvoirs au gouvernement, qui pourra limiter les libertés individuelles et les droits fondamentaux à sa guise, sans contrôle. Par ailleurs, le gouvernement a introduit, durant les discussions, un amendement permettant de lever le secret médical dans les établissements scolaires pour que le statut vaccinal des élèves soit connu. Les tabous continuent de tomber. L’État de droit, aujourd’hui, n’existe plus.

Sommes-nous encore en démocratie ? Cela fait désormais un an et demi que nous subissons un état d’exception permanent en raison de la crise sanitaire, état d’exception dans lequel les règles du jeu démocratiques sont mises entre parenthèses. Dans le même temps, les lois anti-terroristes et sécuritaires ont également fait de l’exception la règle, la dernière loi de sécurité globale introduisant de nouvelles brèches en élargissant de manière disproportionnée les mécanismes de surveillance policiers. Plus une manifestation n’a lieu sans une cohorte de policiers qui l’accompagne, les forces de l’ordre ont de plus en plus de pouvoir, les contre-pouvoirs n’existent quasiment plus, le Parlement est devenu une simple caisse d’enregistrement, et le pouvoir s’exerce de manière solitaire, par un homme dont le sens des libertés publiques est inversement proportionnel à son souci de sa réélection.

« En martelant le faux dilemme « confinement ou passe sanitaire », le gouvernement a menti aux Français, las des privations de liberté successives. »

Que dire, d’autre part, de cet état d’urgence sans urgence, de cet « état de vigilance » inventé par le gouvernement pour justifier le maintien de restrictions insensées qui ne se justifient, en réalité, par aucune urgence, puisque la situation épidémique est sous contrôle et que le taux de vaccination est élevé ? Peut-on, de manière aussi désinvolte, maintenir des mesures exceptionnelles sous prétexte de « vigilance » vis-à-vis de l’épidémie ? N’y a-t-il pas là un détournement grave et sans précédent de la notion d’état d’exception qui contribue à la banaliser ? Poser ces questions, c’est y répondre !

« Être citoyen, ce n’est pas demander toujours des droits supplémentaires, c’est veiller d’abord à tenir ses devoirs à l’égard de la Nation », expliquait le chef de l’État le 17 août dernier. « La sécurité est la première des libertés », ajoutait-il en septembre lors du Beauvau de la sécurité devant un parterre de policiers. Par ses actes et ses mots, Emmanuel Macron a contribué à l’installation d’une société sécuritaire et policière, dont le passe sanitaire est en quelque sorte l’enfant monstrueux. Peu importent les principes, du moment que nous nous sentons protégés !

Cette idée de laisser passer sanitaire contredit l’intégralité de nos principes républicains, à commencer par le principe de non-discrimination. Elle fait de la méfiance envers les citoyens la règle de gouvernement, puisqu’elle introduit l’idée qu’il faut discipliner le peuple pour l’amener à adopter le bon comportement, sous peine de lourdes sanctions (aggravées par le projet loi actuellement en discussion) et sous la menace de contrôles policiers réguliers. Pire, elle institue, dans le droit et dans les faits, une déchéance de citoyenneté pour le citoyen non-vacciné qui perd ses droits inaliénables en raison d’un choix qu’il a pourtant fait en son âme et conscience – choix qui ne heurte pas la collectivité, puisque le vaccin protège des formes graves du virus. En martelant le faux dilemme « confinement ou passe sanitaire », le gouvernement a menti aux Français, las des privations de liberté successives, pour obtenir leur consentement. Que notre société en soit réduite à devoir choisir entre le confinement, c’est-à-dire l’enfermement d’une population entière, et le passe sanitaire en dit long sur notre faillite démocratique.

« Le problème réside dans le fait qu’il est désormais possible, dans notre démocratie, de recourir à ce type de mesures pour gérer une crise »

Michel Foucault, dans ses réflexions célèbres sur les sociétés de discipline, expliquait qu’au cœur du libéralisme figure cette idée que la liberté doit être organisée, et que sa limitation est donc consubstantielle aux sociétés libérales qui ont inventé les grandes « techniques disciplinaires » modernes. Gilles Deleuze a poursuivi cette réflexion en décrivant la manière dont les sociétés capitalistes contemporaines ont ajouté le contrôle à la discipline, sociétés dans lesquelles les citoyens sont pris dans des mécanismes numériques qui les pistent, les surveillent et les disciplinent sans même qu’ils s’en rendent compte. La multiplication des dispositifs numériques, des mécanismes de surveillance, des moyens de traçage sont les symptômes de cette société de contrôle qui prend aujourd’hui la forme, selon le terme introduit par Shoshana Zuboff, du capitalisme de surveillance. La crise sanitaire a accéléré ce processus de manière spectaculaire. Elle a contribué, par les politiques autoritaires mises en place, à banaliser des mesures gravement liberticides prises dans le cadre d’un régime d’exception, lui-même devenu la norme de gouvernementalité. Le passe sanitaire sera sans doute désactivé à terme, mais là n’est pas le problème.

Le problème réside dans le fait qu’il est désormais possible, dans notre démocratie, de recourir à ce type de mesures pour gérer une crise, et que ce qui paraissait hier inconcevable est aujourd’hui une réalité. Cette notion de passe pourrait tout à fait, demain, s’appliquer à d’autres domaines que la santé, comme la sécurité ou l’environnement. La démocratisation du « nudge », cet instrument politique de manipulation des comportements inspiré des sciences comportementales, et qui consiste à amener les citoyens à faire certains choix tout en leur donnant l’illusion du libre arbitre, est un symptôme inquiétant de ce dangereux engrenage. Récemment, un expert du climat émettait l’hypothèse d’un confinement temporaire dans les périodes de pic de pollution, preuve que tous les tabous sont en train de tomber et qu’on banalise, à mesure qu’on les utilise, des mesures anti-démocratiques dignes d’un État totalitaire.

« Emmanuel Macron n’est que le zélé serviteur d’un peuple qui a oublié l’importance de sa propre Constitution. »

Il serait cependant injuste d’en attribuer la faute au seul pouvoir, qui répond avant tout à une demande de protection et de sécurité. Ce déclin démocratique est d’abord le fait des citoyens eux-mêmes, qui plébiscitent les mesures les plus sécuritaires et autoritaires. Le pouvoir durcit sa politique sécuritaire parce que la demande de sécurité est de plus en plus forte, comme l’attestent les sondages réguliers publiés sur la question tout au long de l’année. Idem pour le passe sanitaire : il n’est prolongé que parce qu’il jouit d’une grande popularité au sein de la population, et pas seulement au sein de l’électorat macroniste.

Si les manifestations anti-passe de cet été ont pu donner l’espoir d’une révolte civique d’ampleur contre les atteintes aux libertés, force est de constater que cet espoir ne s’est pas réalisé, pour de nombreuses raisons qui ont été très bien analysées dans cet article du media Le Vent Se Lève. Il y a sans doute, dans ce soutien majoritaire au passe sanitaire, une forme de lassitude face aux privations de liberté répétées, mais il faut avoir l’honnêteté de dire que la cause première de la situation actuelle est la docilité et l’obéissance des citoyens. En exigeant du pouvoir qu’il nous protège des menaces sanitaires et sécuritaires au mépris de l’État de droit, nous avons construit les barreaux de notre propre geôle. Emmanuel Macron n’est que le zélé serviteur d’un peuple qui a oublié l’importance de sa propre Constitution, et qui se réveillera peut-être un jour – mais il sera trop tard.


Photo d’illustration : Francois Laurens / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Mathieu Slama
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22 octobre 2021

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