C’est exactement ce qui arrive lorsque l’on fait confiance à des voyous, des vauriens, des ploutocrates. Stephen Bannon a été utilisé par le candidat Donald Trump afin de récupérer le vote blanc WASP américain des rednecks. Maintenant que c’est fait, maintenant que c’est gagné, c’est Jared Kushner qui reprend les rênes du pouvoir comme prévu dès le début.
Donald Trump s’appuie toujours plus sur son beau-fils, Jared Kushner.
Si Stephen Bannon perd en influence, il ne devrait pas être poussé à la démission : pour le président américain, il pourrait être plus nocif à l’extérieur qu’à l’intérieur de la Maison-Blanche.
« C’est un bon gars, mais j’ai dit à mon équipe de le recadrer, sinon c’est moi qui le ferai ». Par ces propos tenus récemment dans le New York Post, Donald Trump confirme la mise à l’écart de Stephen Bannon. Cette marginalisation révèle des tensions toujours plus fortes dans l’entourage proche du président américain. Et pour l’instant, celui qui profite le plus de cette situation est son beau-fils, Jared Kushner.
L’animal blessé
Début avril, le controversé Stephen Bannon, conseiller stratégique de Donald Trump, a été écarté du Conseil national de sécurité, le cénacle de la Maison-Blanche chargé d’élaborer des stratégies en matière de politique étrangère. Sa nomination comme membre de ce conseil avait déclenché une vive polémique. Ancien directeur de Breitbart News, Stephen Bannon est connu pour ses idées nationalistes et suprémacistes.
Ex chef de campagne de Donald Trump à partir d’août 2016, il a longtemps été considéré comme ayant une très grande influence sur le président. Beaucoup s’interrogent aujourd’hui : Stephen Bannon, dans la peau de l’animal blessé, serait-il plus dangereux à l’extérieur de la Maison-Blanche qu’à l’intérieur? L’idéologue a à plusieurs reprises déclaré vouloir, «comme Lénine», «détruire l’État».
Une entente fusionnelle
L’homme qui lui fait de l’ombre est Jared Kushner, le mari d’Ivanka Trump. Il est le véritable bras droit du président. L’inimitié entre Stephen Bannon et Jared Kushner est flagrante. Chacun a son «clan», et les luttes intestines, coups bas et autres poignards plantés dans le dos empoisonnent l’ambiance à la Maison-Blanche, les deux s’accusant mutuellement de faire fuiter des informations sensibles à la presse. Donald Trump a dû calmer le jeu et obliger les deux hommes à s’expliquer. Ils font depuis profil bas.
Jared Kushner a su s’imposer alors même qu’il n’est pas républicain. C’est lui qui a été envoyé en voyage officiel en Irak, et non le chef de la diplomatie. Ivanka Trump endosse également un rôle toujours plus visible depuis qu’elle occupe officiellement un bureau à la Maison-Blanche. Elle se rendra bientôt à Berlin, sur invitation de la chancelière allemande Angela Merkel.
L’entente était déjà parfaite, presque fusionnelle, entre le couple et Donald Trump, elle s’est encore renforcée depuis que le président américain s’est détourné et méfié de Stephen Bannon. La Une du Time de février « Le grand manipulateur » consacrée à son conseiller stratégique, qui laissait entendre qu’il était sa marionnette, ne lui a pas plu. Dans l’article du New York Post, l’état d’esprit du président est clair: « J’aime bien Steve mais vous devez vous rappeler qu’il n’est arrivé que très tard dans mon équipe de campagne. J’avais déjà battu tous les sénateurs et les gouverneurs, et je ne connaissais pas Steve. Je suis mon propre stratège ».
Son bureau ? La « war room »
Le couple Kushner-Trump est entouré d’autres « modérés », parmi lesquels Gary Cohn, directeur général de la banque d’affaires Goldman Sachs devenu chef du Conseil économique national. C’est un démocrate. Et Steve Mnuchin, autre représentant de Wall Street, qui occupe aujourd’hui le poste de secrétaire au Trésor.
Mais Stephen Bannon, dont le bureau dans l’aile ouest de la Maison-Blanche est surnommé « war room », n’est pas tout seul : il a lui aussi son « clan », ses relais et protecteurs. L’influente Rebekah Mercer, fille du milliardaire Robert Mercer, en fait partie. C’est elle qui a poussé le président américain à prendre Stephen Bannon dans son équipe. Rebekah Mercer, qui avait intégré l’équipe de transition, a notamment travaillé avec lui au sein de Cambridge Analytica, la boîte qui a joué un rôle dans l’élection de Donald Trump. Les Mercer ont aussi financé Breitbart News.
Ultraconservateurs, ils sont proches du Freedom Caucus, groupe tout à droite du parti républicain, héritier du Tea Party. Or Donald Trump cherche à s’en distancier, depuis que ses représentants l’ont empêché d’abroger l’Obamacare. «Le Freedom Caucus va faire du mal à tout le programme républicain s’ils ne rejoignent pas l’équipe et rapidement. Nous devons les combattre, ainsi que les démocrates, en 2018!», a-t-il tweeté il y a quelques semaines. Donald Trump lui met en partie sur le dos l’échec de sa réforme de santé devant le Congrès. Stephen Bannon est aussi à l’origine du décret anti-musulman bloqué par la justice, une humiliation que le président américain lui reproche également.
Proche du chef de cabinet
En se distançant de Stephen Bannon qui commençait à lui faire de l’ombre, Donald Trump complique de facto ses liens avec la famille Mercer, qui a injecté des millions dans sa campagne. Après son éjection du Conseil national de sécurité, Rebekah Mercer était venue à la rescousse de Stephen Bannon, en le conviant dans les bureaux de Cambridge Analytica pour évoquer son avenir, raconte le New York Times. Ils auraient conclu qu’une démission n’était pas opportune. Autre soutien de Stephen Bannon, cette fois directement à la Maison-Blanche: Reince Priebus, le chef de cabinet, lui aussi en délicatesse auprès de Donald Trump. Si l’on en croit Politico, le jeune conseiller Stephen Miller s’est de son côté tactiquement rapproché de Jared Kushner ces derniers temps.
Cette guerre des clans va-t-elle finir par se révéler néfaste pour le président? Lors d’un de ses traditionnels points de presse, le porte-parole Sean Spicer a relativisé l’affaire, sans pour autant nier les tensions: « Il y aura bien sûr de vifs débats. Je pense que c’est sain pour le président d’être conseillé par des gens différents. Mais au final, c’est de […]
Valérie de Graffenried – Le Temps [Suisse]