C’est un véritable carnage boursier qui se déroule en Chine et pourtant personne ne prend cette nouvelle au sérieux. Dégringolade de 30 % en quelques semaines et on continue à faire semblant que tout va bien, que les arbres poussent jusqu’au ciel… Jamais la finance mondiale apatride n’a été aussi fragile, instable, volatile. La chute est proche, elle sera violente, proportionnelle à la bêtise insondable de l’homme moderne.
Les indices chinois ont chuté de plus de 30% depuis le 12 juin. Les experts conseillent encore à ceux qui voudraient investir en Chine de passer par Hongkong
C’est un début d’été caniculaire qu’ont vécu les investisseurs, au sens propre comme au figuré. Mais alors que tous les yeux étaient rivés sur la Grèce, ce sont les bourses de Shanghai et de Shenzhen qui ont été la cause des plus grandes bouffées de chaleur. Entre mi-juin et mi-juillet, les actions domestiques chinoises ont perdu plus de 30% de leur valeur, «ce qui représente près de 3200 milliards de dollars de capitalisation partis en fumée», soulignaient les analystes d’Amundi dans une note parue la semaine dernière. Soit plus de dix fois le PIB de la Grèce.
L’éclatement de ce que certains considèrent comme une bulle financière était pourtant prévisible, tant les signaux d’alerte n’ont pas manqué ces derniers mois. La bourse de Shenzhen avait ainsi commencé l’année par un bond de plus de 120% avant la dégringolade entamée le 12 juin. Une hausse qui semblait d’autant plus paradoxale que la croissance du produit intérieur brut chinois n’a cessé de ralentir depuis 2007.
Prévisibles ou non, ces milliards envolés risquent de peser sur la confiance des investisseurs, estiment les experts d’Amundi. Du coup, les autorités chinoises, conscientes des risques, se sont efforcées de prendre une série de mesures exceptionnelles pour conjurer la baisse. La banque centrale a abaissé ses taux directeurs le 27 juin, les introductions en bourse ont été suspendues, tandis que les actionnaires détenant plus de 5% du capital d’une société chinoise n’ont plus le droit de revendre leurs titres durant six mois. Entre autres choses.
Pour Raymond Hêche, ces mesures permettent de limiter la casse. «Mais elles ne permettent pas d’y mettre un point final», prévient le partenaire de la société Nivalis Partners basé à Hongkong. Car selon lui, le mal est plus profond. Et la «phase de nettoyage» pourrait durer encore longtemps. «Les niveaux de valorisation des entreprises chinoises sur les bourses de Shanghai et de Shenzhen sont beaucoup trop élevés et intenables sur le long terme», explique-t-il.
Un avis que semblent partager les analystes d’Amundi. «Même si le ratio cours sur bénéfices [PER] des douze prochains mois des actions A de Shanghai est passé de 19,2x à 13,1x à la faveur de la crise, les actions H équivalentes à Hongkong se traitent 6,5x», soulignent-ils. Quant à l’indice Hang Seng China AH Premium, qui mesure la différence de prix entre les actions A et H des plus grandes sociétés de Chine continentale, «son cours actuel de 148 signifie que les actions A conservent une prime de 48% par rapport aux actions H», poursuivent-ils. Contre une moyenne de 116 depuis 2006. Selon eux, un retour vers ces niveaux suggérerait soit un rebond des actions H à Hongkong, soit une baisse complémentaire de l’ordre de 20% à 25% des actions A de Shanghai.
Raymond Hêche abonde. La bourse de Hongkong demeure selon lui «la voie royale» pour ceux qui souhaitent investir en Chine. «C’est le seul marché qui offre une visibilité, une analyse et une évaluation suffisantes et fiables des entreprises chinoises, explique-t-il. De plus, les sociétés chinoises qui y sont cotées ont actuellement un niveau de valorisation intéressant, elles offrent souvent des dividendes de 3% à 5%, le tout dans une monnaie liée au dollar.» L’ancien gérant de fonds à Genève rappelle par ailleurs que l’affolement général n’a touché Hongkong que le 8 juillet, lorsque la moitié des titres ont été bloqués sur les places de Shanghai et de Shenzhen et que les investisseurs chinois ont été contraints de vendre leurs titres sur l’île pour faire face aux appels de marges qui se multipliaient sur le continent. «La chute de 8,2% en séance a presque été couverte dès le surlendemain», précise-t-il encore.
Du côté de l’Union Bancaire Privée (UBP), on pense que la correction boursière que connaît la Chine actuellement n’est pas forcément une si mauvaise nouvelle pour les investisseurs de long terme. «Oui, la croissance de l’économie chinoise est moins forte que par le passé, explique Hong Chen, responsable des investissements pour UBP Investment Management (Shanghai) Limited. Mais elle continue de surpasser significativement celle des pays développés. Et oui, l’orientation de la croissance chinoise est encore fortement tributaire des décisions gouvernementales et cet aspect ne devrait pas changer. Mais l’attractivité du marché chinois demeure intacte pour les entreprises capables de diversifier leurs activités en Chine et à l’extérieur du pays.»
Hong Chen s’attend à ce que la rentabilité des capitaux propres des entreprises chinoises continue de progresser grâce aux réformes économiques, au cycle actuel de restructuration des activités et à la rationalisation des coûts. «La lutte contre la corruption tend notamment à diminuer les coûts des entreprises», précise-t-il. Quant à la Banque populaire de Chine, elle conserve, selon lui, une marge de manœuvre confortable en termes de politique monétaire et de nouvelles baisses de taux.
«Une fois les secousses du marché passées, les investisseurs de long terme réévalueront ces perspectives et pourront sélectionner les titres les mieux positionnés pour profiter de la croissance économique chinoise», prédit-il. En attendant, les bourses de Shanghai et de Shenzhen sont restées stables la semaine dernière.