C’est tout à fait typique de cette société moderne occidentale qui fait de l’ego surdimensionné le but ultime à atteindre. C’est également la clownerie préférée des banksters protestants US qui passent leur temps à faire de gros chèques philanthropiques sans jamais omettre d’apposer une plaque gigantesque à leur nom sur la façade de l’immeuble construit grâce à leur générosité agressive (hôpital, université, école…). C’est la pratique assez connue et millénaire de la charité ostentatoire qui est condamnée moralement par toute civilisation humaine respectable et qui est érigée en preuve suprême de moralité aujourd’hui…
Le nouveau marché du bénévolat touristique explose.
Le nombre d’égoportraits stigmatisant la misère et les populations locales sur les réseaux sociaux aussi. Une association d’entraide est partie en croisade pour rappeler les principes de la dignité.Devenir un bon samaritain durant ses congés payés en allant alphabétiser des orphelins ou en construisant des toilettes sèches à l’autre bout du monde séduit de plus en plus d’Occidentaux en quête de sens. Avec une progression de 10 % par an et un chiffre d’affaires annuel de 150 millions de dollars, le « volontourisme » (contraction de volontaire et de tourisme) devient même un marché lucratif… Et aussi l’occasion de montrer son meilleur profil sur les réseaux sociaux.
Dignité compromise.
Au point que le SAIH, le Fonds d’aide internationale aux étudiants et aux universitaires norvégiens, vient d’éditer un guide traitant de « l’usage des médias sociaux pour les volontaires et les voyageurs », assorti d’une vidéo YouTube sarcastique intitulée « Comment obtenir plus de likes sur les réseaux sociaux ? ». On y voit une jeune femme en quête de popularité Instagram débarquer en minishort dans la « vraie Afrique », et enchaîner les égoportraits au milieu d’enfants, qu’elle publie aussitôt sur son compte, accompagné de mots-dièse condescendants : #nourrirl’Afrique, #mesenfantsafricains, #jefaisjustemapart…
« Les stéréotypes blessent la dignité », peut-on lire à la fin du clip. Le petit guide des bonnes manières volontouristes rappelle également les bases pour ceux qui les auraient oubliées : « Gardez toujours à l’esprit que les gens ne sont pas des attractions touristiques […] Évitez de prendre des photos de personnes vulnérables ou dans des situations dégradantes, etc. »Sauveur blanc.
Mi-décembre, Beathe Ogard, présidente du SAIH, expliquait à la radio nationale américaine l’objectif de cette campagne : « Un égoportrait apparemment anodin avec des enfants africains peut perpétuer l’idée que seule l’aide occidentale peut sauver le monde. De plus, ces enfants sont toujours montrés de façon misérable, et les bénévoles en superhéros. Mais en Norvège, personne n’oserait débarquer dans une école pour prendre des égoportraits avec des enfants qui jouent… »
L’opération du SAIH a été réalisée en partenariat avec les créatrices du compte Instagram satirique Barbie Savior (Barbie bienfaitrice), qui moque déjà le « syndrome du sauveur blanc » de certains volontouristes, en mettant en scène une Barbie partie en mission en Afrique, qu’elle voit comme un seul grand pays…
De son côté, le Tumblr Humanitarians of Tinder (les humanitaires de Tinder) épingle les photos de profil que l’on peut dénicher sur l’application de rencontres, avec des Occidentaux qui semblent penser que les enfants des pays en voie de développement sont le faire-valoir idéal pour trouver un coup d’un soir… Les égoportraits réalisés dans des bidonvilles sont également devenus si courants qu’ils ont gagné leur surnom : les slumfies, contraction de slum(bidonville) et de selfies.Tintins humanitaires.
Le responsable de la communication de Caritas Suisse, Fabrice Boulé, lui, se souvient d’un jeune couple suisse qui avait décidé de faire de son voyage de noces un périple « humanitaire », en le documentant largement sur son compte Facebook ouvert, et même en donnant des leçons aux ONG institutionnelles à travers des messages acides.
« C’était spontané, naïf et prétentieux. De vrais Tintins humanitaires. Mais le couple était galvanisé par les encouragements de ses followers,qui lui conféraient l’assurance morale de nous juger sur nos propres actions, déplore-t-il. Ce qui me désole aussi est de voir tant d’agences de voyages gagner de l’argent sur l’envie d’aider, avec une instrumentalisation de la misère autant que du désir d’entraide, qui est plutôt positif au départ. » Hélas pas toujours…Ed Sheeran épinglé.
Le « poverty porn » sous couvert d’altruisme est en tout cas devenu le cheval de bataille du SAIH. Depuis une première opération satirique de 2013 baptisée « Africa for Norway » (l’Afrique pour la Norvège), et consistant à proposer d’envoyer depuis l’Afrique des radiateurs aux Norvégiens victimes d’un climat frisquet, la fondation décerne chaque année les prix des meilleures et pires vidéos de collecte de fonds.
Photo d’illustration : Amos Gumulira Agence france-Presse L’organisme Raising Malawi, cofondé par Madonna, soutient les orphelins et les enfants vulnérables de ce pays du sud-est de l’Afrique. Sur la photo, la star américaine rend visite à l’école primaire Mkoko, qui a été construite avec l’aide de son organisation.