Comme le dit si bien l’adage populaire : “après la fête, on gratte sa tête”. Après la fête des JO au Brésil où des flots d’argent ont été engloutis dans des réalisations qui ne serviront plus à rien, c’est la crise dans toute sa rigueur, accentuée par la chute des cours du pétrole et la pratique étendue de la corruption à tous les niveaux !
Le rêve olympique n’aura pas lieu. Depuis la chute du prix du pétrole, le Brésil est en passe de traverser l’une des plus graves crises de son histoire. Les coulisses d’un pays asphyxié par la corruption.
Tel un mirage, les reliefs crénelés de la raffinerie d’Itaborai apparaissent dans une trouée de brume. “Parfois, on se demande si elle existe vraiment, soupire Ferreira Souza, un soudeur, qui a travaillé deux ans sur ce chantier. Quel gâchis…” Inauguré en 2006 par l’ancien président du Brésil, ce projet titanesque devait déboucher sur la construction du plus grand complexe pétrochimique d’Amérique du Sud.
Baptisé Comperj, il devait comprendre deux raffineries, une usine de plastique et une unité de traitement du gaz. Un investissement de 8,3 milliards de dollars lancé par la major brésilienne Petrobras, après la découverte de gigantesques champs pétrolifères au large de Rio de Janeiro. A terme, Comperj devait entraîner la création de 200000 emplois.
Las. Dix ans plus tard, le chantier est au point mort. “La première raffinerie n’est toujours pas terminée, et la seconde n’est pas encore sortie de terre”, déplore Ferreira Souza. A cela, deux raisons. D’abord, la chute des cours du pétrole, qui a contraint Petrobras à revoir ses investissements à la baisse. Ensuite, l’impressionnante affaire de corruption, qui a considérablement ébranlé le géant pétrolier.
En tout, 2 à 3 milliards d’euros d’argent public auraient été détournés entre 2004 et 2014. Les bénéficiaires? Principalement des députés proches du pouvoir. En échange d’argent, pour leur parti ou pour eux-mêmes, ces derniers votaient en faveur des lois proposées par le gouvernement, le doigt sur la couture du pantalon…Un pays en pleine déconfiture
Alors qu’elle aurait dû devenir un paradis de l’or noir, la ville d’Itaborai n’est plus qu’une ville fantôme. Pour la plupart originaires du Nordeste, les 32 000 ouvriers recrutés par Petrobras et ses sous-traitants sont repartis chez eux. Seules quelques centaines d’employés assurent encore l’entretien du site.
Dans le centre-ville, des immeubles sont à l’abandon. Des tags rageurs constellent les murs d’hôtels inachevés: “Politiciens pourris! Rendez l’argent!” Certains établissements ont juste eu le temps d’ouvrir leurs portes avant d’être frappés par la crise. Devant l’entrée, un panneau annonce encore le prix des chambres: 119 reals la nuit – environ 33 euros. Un peu plus loin, un centre commercial, flambant neuf.
Les étages sont vides. Près de l’entrée, un bureau est occupé par de jeunes consultants. Ils doivent s’y sentir bien seuls. “Un cardiologue va venir s’installer ici”, croit savoir Robson, le gardien des lieux. Pas sûr qu’il ait beaucoup de patients. Dans la rue, les passants sont rares. Sur la majorité des bâtiments, le même écriteau “Aluga” (à louer).
Itaborai, ville déserte, est devenue un symbole: celui d’un Brésil en pleine déconfiture, que l’opulence des JO n’a pas réussi à ranimer. Finies, les années fastes, où l’économie était portée par un prix du baril stratosphérique et par la “fringale” chinoise en matières premières. Le point culminant a été atteint en 2010, avec un taux de croissance de 7,5%. Cette richesse a permis de financer de nombreux programmes sociaux: “Nous avons sorti 40 millions de Brésiliens de la pauvreté extrême, rappelle Dilma Rousseff, la présidente du Brésil, qui fait actuellement l’objet d’une procédure de destitution. Nous avons également ouvert les portes de l’université à des publics (femmes, Noirs) qui n’y avaient pas accès. “
Le miracle n’a malheureusement pas duré. Le prix du baril s’est effondré – il stagne aujourd’hui sous la barre des 50 dollars. Les cours des matières premières ont chuté, et le dynamisme chinois a marqué le pas, portant un rude coup aux exportations. Conséquence: la neuvième puissance économique mondiale est entrée en récession. Le PIB a chuté de 3,8% en 2015, l’industrie et le secteur tertiaire ont reculé respectivement de 6,7% et 2,7%, et la tendance ne devrait pas s’améliorer cette année, avec un nouveau plongeon de la richesse de près de 4%.
Après l’euphorie des Jeux olympiques
Ce retournement conjoncturel a montré les limites du modèle brésilien. Le chômage a grimpé en flèche, touchant plus de 10% de la population active. Les investisseurs ont commencé à fuir le pays, tandis que le real a perdu plus du tiers de sa valeur par rapport au dollar.
Aujourd’hui, l’euphorie des Jeux olympiques semble bien loin. Tous les indicateurs sont au rouge. “Le Brésil traverse une crise multidimensionnelle”, résume le cabinet de conseil brésilien AgrobrasConsult, dans une étude publiée au mois de mai 2016.
Il y a, d’abord, la crise politique. Le 17 avril dernier, au cours d’une séance houleuse, une majorité de députés (environ les deux tiers) votait la destitution de la présidente du Brésil, pour “maquillage de comptes publics”. Une sanction que le Sénat devait confirmer à la fin du mois d’août pour qu’elle soit appliquée. En attendant, le pays est dirigé par un gouvernement intérimaire, conduit par Michel Temer, un ancien allié de Dilma Rousseff.
Emprisonnée sous le régime militaire (19641985), cette ancienne militante d’extrême gauche a fait toute sa carrière dans des cabinets ministériels. Imposée par son prédécesseur, le charismatique Lula, elle est élue à la tête du pays en 2010, avant de décrocher, de justesse, un second mandat en 2014. Réputée autoritaire, peu diplomate, Dilma Rousseff se met progressivement à dos la plupart de ses alliés politiques, la communauté financière et une partie de la population.
Mais c’est l’affaire Petrobras qui va précipiter sa chute. Ministre de l’Energie entre 2003 et 2005, et présidente du conseil d’administration de la major brésilienne de 2003 à 2010, pouvait-elle réellement ignorer les agissements du géant pétrolier? “Je n’en savais rien”, assure la présidente, l’une des rares personnalités politiques à ne pas être soupçonnée d’enrichissement personnel dans cette histoire. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir, à sa manière, fait du mal au groupe Petrobras…
Début 2018, la dette publique pourrait atteindre 80% du PIB
En rupture avec la volonté d’ouverture aux capitaux étrangers menée dans les années 90, cette fervente partisane du capitalisme d’Etat a, en effet, encouragé la firme à fabriquer elle-même ses navires et ses plateformes offshore, au lieu de nouer des partenariats. Ce qui a entraîné d’importants surcoûts.
En subventionnant l’essence au détriment des biocarburants, elle a également mis à mal la filière nationale – pourtant florissante – de l’éthanol. Ces errements stratégiques ont fait exploser l’endettement de Petrobras, qui dépasse aujourd’hui les 130 milliards de dollars, “dont 10 milliards qui doivent être remboursés dans les douze prochains mois”, précise une étude de la banque Natixis, publiée le 1er juillet. Plus grave, le groupe pétrolier a réduit drastiquement ses investissements, plongeant de nombreux sous-traitants dans la crise. De 20,2% en 2013, le taux d’investissement du pays est ainsi descendu à 18,2% en 2015.
Comment résorber la dette publique, qui ne cesse de se creuser, en partie à cause de Petrobras? En deux ans, elle est ainsi passée de 57,2 à 66,2% du PIB. Les prévisions la portent à 75,6% à la fin de 2016, et à 80% au début de 2018. “Pourquoi la dette brésilienne poserait-elle problème, alors qu’elle est, en proportion, moindre que dans les pays de l’Union européenne? réfute Dilma Rousseff. Pour sortir de la crise, le Brésil doit réduire ses dépenses et créer des impôts.”
C’est vrai, à quelques remarques près. Tout d’abord, le Brésil doit emprunter à des taux très élevés, contrairement aux pays occidentaux. Dilma Rousseff le reconnaît: “Le secteur financier n’investit pas à long terme au Brésil. Le coût du capital est très important.” Ensuite, l’Etat brésilien a consenti des garanties importantes aux grandes entreprises publiques. Il n’hésitera pas à les soutenir, partant du principe qu’une faillite aurait des conséquences incalculables sur le pays. C’est le fameux concept économique du too big to fail (“trop grand pour faire faillite”).
Le gouvernement saura-t-il engager les réformes qui s’imposent?
Pour les cinq plus grandes compagnies d’Etat, ces garanties représentent 52% du PIB, selon l’étude de Natixis. Renflouer Petrobras aurait, par exemple, des conséquences importantes sur le déficit public. Mais que faire pour endiguer l’endettement? Créer des impôts? “La part déjà élevée des prélèvements fiscaux, soit 33,3% du PIB en 2015, réduit fortement la tolérance à tout impôt supplémentaire”, souligne l’étude d’AgrobrasConsult.
Les prochains mois risquent donc d’être chaotiques. Fragilisé par plusieurs démissions de ministres, soupçonnés de corruption, l’actuel gouvernement n’a guère de crédit auprès de la population. Saura-t-il engager les réformes qui remettront le pays sur la bonne voie? Fin de l’indexation des salaires et des pensions sur l’inflation, remise en cause de l’âge de départ à la retraite, amélioration de la compétitivité industrielle et du climat pour les investissements étrangers…
Les dossiers s’amoncellent sur la table du président par intérim,Michel Temer. Une chose est sûre: les réformes ne pourront attendre l’élection présidentielle de 2018. Dilma Rousseff, au sort incertain, le dit elle-même: “La période est très délicate, et propice aux […]
– 3,8%, c’est la performance de l’économie brésilienne en 2015.
10,5%, c’est le taux de chômage prévu à la fin de 2016.
75,6%, ce sera le poids de la dette rapportée au PIB à la fin de 2016.
33 ans, c’est le temps durant lequel un salarié verse des contributions, et 22 ans, celui pendant lequel il touche une retraite (en moyenne) : ce qui donne l’un des meilleurs ratios du monde.
Sources: FMI, Banque centrale du Brésil, Trésor national.